Blé Matthias Sorg
07.01.2025 Agriculture

«La machine ne remplace pas le paysan»

Il arrive que les technologies intelligentes s’invitent dans les exploitations agricoles, comme le montre une visite à la Swiss Future Farm. Pourtant, pour progresser vers une agriculture durable et respectueuse de la nature, d’autres approches restent nécessaires.

La Swiss Future Farm (SFF) à Tänikon (TG) n’a rien d’une ferme de science-fiction, bien que de nouvelles technologies intelligentes y soient expérimentées. «Celles que nous utilisons sont avant tout axées sur la pratique et disponibles sur le marché», explique Florian Bachmann. Il travaille pour le Centre de formation professionnelle d’Arenenberg, qui exploite la SFF depuis 2017. Roman Gambirasio, responsable technique à la SFF et représentant de GVS Agrar AG, l’une des entreprises partenaires du projet (lire encadré), ajoute: «Nous avons environ cinq à sept ans d’avance sur l’agriculture conventionnelle en termes de technologie.»

Illustration einer mechanischen Vogelscheuche Isabelle Bühler
Illustration d'Isabelle Bühler

En effet, le «smart farming» est déjà utilisé dans de nombreuses fermes, notamment via des programmes de gestion ou des robots de traite. «En revanche, il est plus complexe d’appliquer ces technologies aux cultures en champs, ce qui est précisément notre objectif à la SFF», précise Roman Gambirasio. «L’irrigation et la fertilisation sont utilisées pour améliorer l’approvisionnement en eau et la nature du sol. En optimisant ces méthodes, un agriculteur peut atteindre 90 à 95% du rendement maximum du champ. La technologie permet alors de grappiller les derniers pourcentages.» Mais ces avancées valent-elles l’investissement? Roman Gambirasio nuance: «Sur 2000 hectares, on peut économiser plusieurs milliers de francs en engrais. Mais sur une exploitation suisse moyenne de 20 hectares, cela représente à peine 200 francs, pour des équipements coûtant des dizaines de milliers de francs.» L’intérêt économique est donc limité. Sur le plan écologique, en revanche, les gains sont significatifs: «Un épandage plus précis, une réduction des engrais ou une diminution de 50 à 90% des herbicides sont bénéfiques à la nature», souligne Florian Bachmann.

Fertilisation ciblée selon les zones

Le projet «Smart-N» illustre par exemple comment la technologie permet de réduire les apports d’engrais. Basé sur des photos satellites, il calcule le potentiel de production du sol, ainsi qu’un indice de végétation. «Les photos révèlent l’état nutritionnel de la plante. Plus son apport en azote est bon, plus sa couleur verte est intense. On s’aperçoit que les plantes ne poussent pas uniformément, car le potentiel du sol varie. Avec ces données, nous pouvons fertiliser de manière plus ciblée.» C’est un tracteur équipé d’un GPS qui se charge du travail, en s’autolocalisant dans le champ et en se basant sur une carte générée par l’image satellite pour la fertilisation. «Mais c’est toujours l’agriculteur qui décide où, comment et quand intervenir. La machine ne remplace pas le paysan.»

Après trois ans d’expérimentation, les résultats montrent que «l’excédent d’azote a pu être réduit d’environ 20% par rapport à une fertilisation classique». Selon les années et les parcelles, des économies supplémentaires en engrais sont possibles, «mais sans réel impact financier pour nos petites exploitations». Par ailleurs, il existe des limites techniques: les jours nuageux, il est impossible d’obtenir des images satellites et le sol peut être impraticable à cause de l’humidité ou manquer d’eau pour dissoudre l’engrais.

Réduction du travail du sol

Pour économiser les herbicides, la SFF expérimente aussi le travail réduit du sol. Au lieu de semer les céréales de manière traditionelle sur toute la surface avec un espacement de 15 centimètres entre les rangées, elles sont semées tous les 50 centimètres sur une double rangée, les espaces intermédiaires étant laissés en jachère. «Nous travaillons le sol et pulvérisons les herbicides uniquement là où se trouvent les semences», explique Roman Gambirasio.

«Entre les rangées, les mauvaises herbes sont éliminées mécaniquement. Cela préserve le sol et permet d’économiser jusqu’à 50% d’herbicides.» Mais là encore, les conditions météo influencent les résultats. «En 2024, l’humidité a rendu le désherbage mécanique difficile. Si les mauvaises herbes ne sont pas éliminées mécaniquement, elles sont aussi pulvérisées d’herbicides, mais en quantité insuffisante pour mourir: elles risquent donc de développer une résistance.»

Lasers, drones et autres innovations

À la SFF, on touche tout de même du doigt la science-fiction. Des drones survolent les champs, par exemple pour répandre des granulés anti-limaces. D’autres usages sont à l’étude. «Par ailleurs des lasers sont utilisés pour brûler les mauvaises herbes», ajoute Florian Bachmann. Toutefois, cette technique n’est efficace que sur de très jeunes plantes. Une fois les plantes trop grandes, il est plus rapide de les arracher à la main.

Si les nouvelles technologies fonctionnent avec les plantes, elles restent plus limitées pour la gestion des insectes. Roman Gambirasio évoque toutefois des avancées dans le monitoring. «Des capteurs mesurant des paramètres clés comme l’humidité, la température, la durée d’ensoleillement, etc., pourraient prédire l’apparition d’un ravageur et permettre des interventions préventives. Mais ces technologies ne verront probablement le jour que dans vingt ans. Pour les maladies fongiques, en revanche, les modèles de prévision sont déjà bien plus avancés.»

BETTINA EPPER, rédactrice pour le Magazine Pro Natura.

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Cet article a été publié dans le Magazine Pro Natura.

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