«La colère est mon carburant!»
En Norvège, il est question d’immerger plusieurs centaines de millions de tonnes de déchets miniers contaminés dans le fjord de Førde. Le gouvernement norvégien prévoit d’autoriser l’extraction d’éclogite pour la production de dioxyde de titane dans la montagne d’Engebø, proche du fjord, mais les dernières autorisations n’ont pas encore été délivrées. Les Instituts norvégiens de l’environnement, de la recherche marine et de la pêche se sont prononcés contre ce projet – tout comme 60 entreprises régionales du secteur de la pêche, leur association faîtière nationale et la Fédération du tourisme. Mais en première ligne de cette coalition, on trouve le mouvement citoyen cofondé par Anne-Line Thingnes Førsund. L’organisation collabore avec «Friends of the Earth Norway», partenaire de Pro Natura au sein du réseau global de protection de la nature.
Pro Natura: quand vous étiez à l’école, faisiez-vous déjà partie des élèves rebelles qui se révoltaient contre toute forme d’injustice?
Anne-Line Thingnes Førsund: il pouvait m’arriver de faire de la résistance en classe, non pas parce que j’étais une enfant rebelle, mais plutôt parce qu’on m’a toujours appris que ma voix était aussi importante que celle des autres.
Est-ce vos parents qui vous l’avaient appris?
Mes parents, mais aussi la famille plus élargie avec mes grandsparents, mes oncles et tantes, ainsi que les gens du village où j’ai eu la chance de grandir. J’ai appris à les écouter et ils m’ont aussi écoutée. Un proverbe norvégien dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. J’en suis la meilleure preuve.
Vous avez donc naturellement élevé la voix quand vous avez su que des centaines de millions de tonnes de déchets miniers contaminés devaient être immergés dans «votre» fjord?
Absolument, j’ai compris immédiatement que ce projet absurde représentait non seulement la plus grande menace de tous les temps pour notre merveilleux fjord, mais aussi pour l’ensemble des fjords norvégiens, menacés de devenir des décharges. J’ai donc agi sans hésiter.
Jusqu’ici, le gouvernement a maintenu sa volonté de réaliser ce projet très contesté. Est-ce que vous n’avez jamais cédé à la frustration?
Pas à la frustration, mais à la colère – parfois je suis carrément furieuse! Mais Johnny Rotten chantait déjà: «Anger is an energy !» (La colère est un carburant!) Ça m’a fait avancer. Tout ce projet montre à quel point la politique est étroitement liée à l’industrie et aux investisseurs. La Norvège, le pays des fjords, qui exporte chaque jour 38 millions de repas à base de poisson, est d’accord de brader ses fjords et de les polluer pour une entreprise qui compte actuellement trois employés. Nous allons continuer à nous y opposer de toutes nos forces car des demandes comparables émanent déjà d’autres régions.
D’où tirez-vous l’énergie qui nourrit votre engagement?
Le fjord lui-même est une grande source d’énergie. Pour revenir à mon enfance: je pouvais passer des heures devant notre maison à observer les oiseaux, les poissons et d’autres animaux. J’étais déjà consciente que les êtres humains faisaient partie d’une grande communauté d’espèces. Si je m’engage, c’est aussi par souci de faire perdurer l’équilibre de cette communauté et d’éviter que le fossé se creuse entre nous les humains et les autres espèces animales et végétales.
Raphael Weber, rédacteur en chef du Magazine Pro Natura.
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Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.
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