«Avec le Valais, on ne sait jamais à quoi s'attendre»
Magazine Pro Natura: en juin prochain, les Valaisans sont appelés à se prononcer sur le projet Sion 2026. Une tendance se dessine-t-elle déjà?
Thierry Largey: c'est encore un peu tôt. La campagne commence à peine. Aujourd'hui, je dirais que les JO ne passeraient pas. Mais d'ici juin, rien n'est moins sûr. Les arguments pour le non ont beau être fondés, en Valais, on ne sait jamais. Dans ce canton, la population se sent souvent prétéritée, avec une envie d'autant plus forte de montrer au reste de la Suisse qu'on est capable de mener à bien un projet d'envergure. Il existe aussi un sentiment identitaire marqué: alors pourquoi pas finalement tous se regrouper derrière un projet présenté comme fédérateur?
Fédérateur, vous le pensez vraiment?
Moi pas. Je pense qu'il s'agit avant tout du projet d'un petit groupe de personnalités des milieux sportif, immobilier et politique qui veulent se faire plaisir. Et qui continuent de croire que les JO sont un projet rassembleur. Et durable. C'est la tendance pour faire avaler la pilule, mais pourtant non, les JO actuels ne peuvent pas être durables, même à Sion!
Mais le projet, il a des chances à votre avis?
Il est mal parti. D'autant plus depuis qu'on est allé chercher le politicien Jürg Stahl, conseiller national UDC, président de Swiss Olympic, pour reprendre la présidence du comité après le départ de Jean-Philippe Rochat. A propos d'identité justement: quel Valaisan se reconnaît dans cette personnalité ? Qui le connaît même ? Au-delà des personnes, le plus important à mes yeux, ce sont les lacunes au niveau environnemental: le dossier est si pauvre dans l'évaluation des impacts et les mesures de compensation que la Fondation pour le développement durable des régions de montagne a demandé un rapport complet qui analyse les enjeux environnementaux de manière sérieuse. L'audit a été rendu, mais les résultats n'ont toujours pas été publiés. Sont-ils vraiment si mauvais que cela ou veut-on les rendre d'abord plus présentables, je l'ignore.
Qu'est-ce qui est particulièrement faible à ce niveau?
Il y aurait beaucoup à dire. Pour aller à l'essentiel, je dirais les enjeux en matière de mobilité et la problématique des ressources en eau et en énergie. Que fera-t-on si l'hiver 2026 est un hiver sans neige? S'il fait trop doux pour que la neige "tienne"? Je rappelle que le site de Crans Montana, prévu pour les compétitions de ski, est exposé plein sud et qu'il est déjà à la recherche de nouvelles sources d'eau potable pour les besoins actuels. Pour autant, le projet des JO prévoit d'investir massivement pour des canons à neige. Mais les défenseurs du projet vont brandir cet hiver 2018 très enneigé pour rassurer les esprits réfractaires, soyons-en sûr.
Mais alors dans ces conditions de faiblesse du dossier, pour quelles raisons si peu de personnalités valaisannes osent s'exprimer ouvertement contre les JO. On a peur de quoi en Valais?
En Valais, ça se passe toujours un peu différemment qu'ailleurs. Les voix dissonantes ont peine à s'exprimer. On pense qu'on peut subir des mesures de rétorsion ou des pressions si on s'exprime contre un projet défendu par des personnalités publiques qui donnent le ton et qui tiennent l'économie du canton. C'est souvent une crainte infondée. Je me souviens notamment d'un élu qui avait eu le courage de décréter de larges zones réservées dans sa commune; il a été réélu.
Même les défenseurs de la nature, on ne les entend pas beaucoup.
Pour le moment, c'est vrai. Mais la campagne commence à peine. Il faut un peu de temps pour s'organiser, chercher les bonnes personnes pour aller au front, développer les arguments et avoir des réponses à toutes les questions qui se posent. Pro Natura Valais s'est demandé si elle devait accompagner le projet pour qu'il réponde sérieusement aux critères de durabilité. Mais entre l'attribution des Jeux et les Jeux eux-mêmes, nous ne maîtrisons pas grand-chose. Même les porteurs du projet ne maîtrisent pas certains paramètres comme les coûts supplémentaires inévitables. La population doit comprendre que le projet qui nous est présenté, du point de vue financier, consiste à transférer une grande partie des coûts des JO aux futurs budgets ordinaires des communes et du canton.
Quelle est votre vision pour faire des Jeux un événement réellement durable?
Il serait important, une fois, d'évaluer un système globalisé. On parle toujours de mondialisation, parlons-en intelligemment pour les JO. Le principe serait d'utiliser les infrastructures là où elles existent et où il existe une culture des disciplines concernées : le ski de fond en Norvège, le hockey au Canada ou en Suisse, ce sont là des exemples. Ça couterait moins cher, ça serait certainement plus durable, surtout plus démocratique en évitant les manœuvres actuelles pour l'attribution des Jeux. C'est le moment de se pencher sur d'autres modèles: un modèle globalisé et vraiment durable de JO, mais aussi un modèle de tourisme diversifié qui mise sur la durée et profite à toutes les Valaisannes et tous les Valaisans.
Florence Kuperschmid-Enderlin est rédactrice romande du Magazine Pro Natura.
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Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.
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