Les grottes: une diversité insoupçonnée
La surface terrestre dissimule un univers fascinant et peu exploré. La beauté des grottes naturelles nous échappe largement, car leurs étranges formations rocheuses et leurs couleurs bigarrées demeurent en permanence plongées dans l’obscurité.
Des températures constantes …
A ces ténèbres s’ajoute un froid constant. Dans presque toutes les grottes, la température se maintient invariablement entre sept et neuf degrés. L’humidité de l’air y est toujours très élevée. Les écosystèmes souterrains se caractérisent par une offre alimentaire extrêmement réduite, car ils ne contiennent que de très faibles quantités de matériaux organiques charriés dans ces profondeurs par l’eau, l’air ou les animaux.
Ce sont justement ces particularités qui font des grottes des biotopes de haute valeur pour de nombreux organismes. Mais vivre dans de telles conditions exige un certain degré de spécialisation. Les végétaux sont absents du monde souterrain, car ils ont besoin de lumière pour opérer la photosynthèse. On trouve quelques rares espèces d’algues, de mousses et de fougères, des plantes adaptées aux endroits humides et ombragés, à proximité des ouvertures et dans les grottes qui disposent d’un éclairage artificiel.
Quelques animaux ont réussi tant bien que mal à s’acclimater à ce milieu inhospitalier, qui leur offre plusieurs avantages: ils ont moins de concurrents et de prédateurs, et peuvent se reproduire toute l’année, indépendamment de la saison. Leur mode de vie est encore mal connu et n’a pas été suffisamment étudié jusqu’ici. Comme beaucoup d’espèces cavernicoles sont endémiques, c’est-à-dire qu’elles ne se rencontrent que dans une grotte donnée, les chercheurs ne cessent de découvrir de nouveaux spécimens.
… pour les super-spécialistes …
La faune des grottes se répartit en plusieurs groupes écologiques. Les animaux cavernicoles, appelés troglobies, sont hautement spécialisés et parfaitement adaptés au monde souterrain. Ils vivent dans les profondeurs de la terre et ne subsistent pas longtemps à l’air libre. Ils sont généralement de très petite taille et n’ont besoin de ce fait que de faibles quantités de nourriture. Nombre d’entre eux présentent un aspect incolore, pâle, presque transparent, dû à l’absence de pigmentation de leur peau, qui ne nécessite pas de protection contre le rayonnement solaire.
Leurs yeux sont souvent atrophiés, l’odorat et le toucher très développés. De longues antennes, vibrisses et autres organes tactiles leur permettent de s’orienter dans l’obscurité. Pour pallier la pénurie de nourriture, les troglobies limitent leurs dépenses énergétiques en ralentissant leur métabolisme et en se mouvant le moins possible. Cette catégorie comprend des bythiospées et le protée anguillard, une espèce d’urodèle aveugle qui n’est pas présente en Suisse.
… et les hôtes réguliers
Les espèces dites troglophiles apprécient le milieu cavernicole, sans lui être aussi intimement liées. On distingue les animaux eutroglophiles et subtroglophiles. Contrairement aux troglobies, les eutroglophiles peuvent survivre à l’extérieur des grottes à l’abri des pierres, des feuilles ou de l’écorce des arbres. Ils ont la capacité de se reproduire sous terre. Sont classés dans ce groupe, entre autres, des annélides, des collemboles, des araignées et des coléoptères.
Les espèces subtroglophiles ne séjournent dans les cavités que pour une durée limitée. Elles s’y orientent facilement, mais les quittent pour s’alimenter. C’est le cas de certains papillons et des chauves-souris, qui y trouvent des conditions idéales pour hiberner. D’autres espèces se réfugient sous terre pour échapper à la chaleur et à la sécheresse estivales, ou pour s’accoupler.
Outre les troglobies et les troglophiles, on recense encore des espèces trogloxènes: ces animaux pénètrent sporadiquement dans les grottes, mais ne peuvent s’y maintenir pour une période prolongée.
Des habitats fragiles
Comme les grottes abritent des animaux hautement spécialisés, les interventions humaines, même minimes, affectent la biodiversité des milieux souterrains de manière irréversible. Le tourisme spéléologique peut impacter les communautés d’espèces. L’afflux de visiteurs augmente la température des lieux, modifiant l’hygrométrie et la composition de l’air. Les déchets abandonnés sur place provoquent l’apparition de moisissures toxiques. Les émissions de bruit et de lumières perturbent très directement les habitants des ténèbres, par exemple les chauves-souris en hibernation.
La Société suisse de spéléologie (SSS) rappelle dans son code d’honneur que «toute visite représente une menace pour les grottes». Celles et ceux qui ont envie de respirer l’air des profondeurs choisiront de préférence des grottes aménagées pour les touristes. S’ils souhaitent creuser le sujet, ils s’adresseront à la SSS pour une excursion conduite par des professionnels. Cela permet de limiter les conséquences négatives pour les animaux ultrasensibles que nous vous présentons dans ce numéro.
Sabine Mari dirige le Service conseils chez Pro Natura
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Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.
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