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14.09.2022 Crise de la biodiversité

La biodiversité à la croisée des chemins

Le constat est toujours le même: la biodiversité est au plus mal en Suisse et la tendance ne va pas en s’améliorant. Pourtant, face à la catastrophe annoncée, des solutions existent, notamment au niveau politique. Il revient justement ces jours aux parlementaires de débattre du contre-projet à l’Initiative biodiversité qui demande plus de moyens et de surfaces pour la protection de la nature, ainsi que des instruments plus adaptés. A l’heure où la protection de la nature est assaillie de toutes parts, en particulier dans les débats sur la Loi sur l’énergie, les discussions sur ce contre-projet sont cruciales et détermineront le sort de la biodiversité – et par extension le nôtre – pour les années à venir.

Récemment, un herbier réalisé il y a 150 ans dans le canton de Schaffhouse a été étudié en détail par des scientifiques. Cette analyse a permis de mettre en exergue la vitesse de la perte de diversité chez les plantes dans notre pays: 154 des 1000 espèces récoltées à l’époque ont aujourd’hui disparu, soit une moyenne d’une espèce perdue chaque année. Ce témoignage indirect vient s’additionner à un constat plus général: depuis le XIXe siècle, 95% des prairies et pâturages secs et 80% des marais ont disparu. Par ailleurs, 60% des insectes, 40% des oiseaux nicheurs ainsi que la grande majorité des batraciens et des reptiles sont menacés d’extinction. Au total, ce sont la moitié des milieux naturels et le tiers des espèces de plantes, d’animaux et de champignons qui sont menacés de disparition. Il y a donc urgence à prendre des mesures en faveur de ce qui constitue, selon les mots du Conseil fédéral, «un prérequis pour l’existence humaine»1

La grande occasion du Parlement

Le sort de la biodiversité en Suisse se joue justement maintenant, au Parlement. La Commission de l’environnement du Conseil national (CEATE-N) a récemment approuvé, en substance, le contre-projet du Conseil fédéral à l’Initiative biodiversité. L’initiative demande davantage de moyens et de surfaces pour la biodiversité et des instruments adaptés.

Alors que la Suisse défend à l’international l’objectif de protéger 30% de surfaces pour la biodiversité, le contre-projet revisité par la CEATE-N propose d’ancrer une liste d’aires protégées sur 17% du territoire suisse. Selon les calculs de l’Office fédéral de l’environnement qui incluent des catégories de surfaces qui ne répondent pas aux critères de protection, nous serions aujourd’hui à 13,4 %.

Or ceci n’est qu’un exercice comptable alors que nous avons besoin de protéger les bonnes surfaces au bon endroit et en quantité suffisante. Ce faible pourcentage ne permet pas de maintenir à long terme les prestations écosystémiques nécessaires à notre survie – sécurité alimentaire en tête. Avec une telle version du contre-projet, la commission adopte la politique des petits pas, mais n’enraye en rien le décrochage de la biodiversité.  

Bundeshaus Bern
Le sort de la biodiversité en Suisse se joue justement maintenant, au Parlement.

Un contre-projet, deux trajectoires potentielles

Le contre-projet à l’Initiative biodiversité sera débattu pendant la session d’automne au Conseil national. A cette occasion, deux trajectoires sont possibles. 

Première option: ne rien faire, attendre et payer le prix exorbitant du déclin de la biodiversité

La première trajectoire est celle du contre-projet actuel, insuffisant pour mettre un terme à la crise de la biodiversité. C’est la trajectoire de l’inaction qui intègre, en conscience, le prix exorbitant que nous devrons payer à l’avenir pour remplacer les services, souvent invisibles, que la biodiversité nous offre:  

  • les paysages qui font notre fierté et sont au cœur de nos loisirs s’appauvriront.
  • les forêts et les sols auront grand-peine à remplir leur rôle de protection contre les catastrophes naturelles et les effets du réchauffement climatique: érosion, crues et inondations, glissements de terrain, sécheresse, etc.
  • les marais et les forêts ne pourront pas remplir le rôle de puits de CO2 en raison de leur état de dégradation et de leur exploitation.

Un chiffre permet de visualiser le coût de l’inaction: le Conseil fédéral estime que si rien n’est fait, la perte de biodiversité nous coûtera entre 14 et 16 milliards de francs par année à l’horizon 2050. Ce chiffre très élevé équivaut aux dépenses de 2021 visant à endiguer la pandémie de COVID-19.  

Une seconde option: agir et préserver la biodiversité

La seconde trajectoire, plus rationnelle, est celle de l’action. Le Parlement est capable de prendre les bonnes décisions et d’améliorer significativement le contre-projet indirect à l’Initiative biodiversité. Il doit le faire non seulement pour sauver la biodiversité, mais aussi parce que cela permettra de juguler les effets du dérèglement climatique. Les deux crises, très sérieuses, doivent être résolues ensemble. Si nous ne faisons rien, les conditions de notre existence humaine seront profondément remises en cause. 

Nos élues et nos élus ont donc bel et bien l’occasion de redresser la barre et de proposer une approche plus en adéquation avec les besoins identifiés en matière de biodiversité:

  • garantir suffisamment d’espace au maintien et au développement de la biodiversité par le biais de la planification territoriale
  • doter la Suisse d’instruments adaptés
  • contrer la fragmentation des milieux naturels en favorisant la mise en réseau par la mise en œuvre de l’infrastructure écologique.

Les conseillères nationales et les conseillers nationaux sensibles à cette thématique peuvent, et doivent, améliorer considérablement le projet de la commission, afin d’éviter que dans 100 ans, les herbiers de 2022 soient vus comme les témoins d’une biodiversité perdue à jamais et d’un passé définitivement révolu.  

Sarah Pearson Perret, biologiste, Secrétaire romande de Pro Natura

Bilan des discussions au Parlement au sujet de l’Initiative biodiversité
Après trois jours de délibérations, le Conseil national a recommandé le rejet de l’Initiative biodiversité, mais a amélioré le contre-projet à l’initiative. Le Conseil national a ancré l’infrastructure écologique dans la Loi sur la Protection de la nature et élargi l’instrumentaire à disposition par un nouvel instrument nommé “sites biodiversité”. Ce nouvel instrument, qui vise à combiner dans un territoire la protection de la biodiversité et les autres utilisations, peut être un compromis intéressant en fonction de son implémentation. Pro Natura se félicite que le Conseil national ait refusé l’exercice purement comptable articulé autour d’un pourcentage de surfaces proposé par la majorité de la commission en charge du dossier. Le Conseil des États, qui débattra de l’initiative et du contre-projet prochainement, doit désormais s’assurer que les conditions soient réunies, notamment financières, pour soutenir les cantons dans la réalisation des mesures proposées.  

 

1 Message du Conseil fédéral relatif à l’Initiative biodiversité et au contre-projet indirect, mars  2022
2 Message du Conseil fédéral relatif à l’Initiative biodiversité et au contre-projet indirect, mars  2022 
https://www.efd.admin.ch/efd/fr/home/politique-budgetaire/les-finances-…

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