Un «choc» salvateur
Le marais des Pontins se situe dans le Jura bernois, proche du Chasseral. Il doit son existence à un sol relativement imperméable, formé lorsque le glacier local a disparu à la fin de la dernière glaciation. Ce sol était favorable à une végétation de marais et son humidité suffisamment élevée pour que les restes de plantes ne puissent pas être totalement décomposés et que se forme de la tourbe.
Siècle après siècle, le corps de tourbe s’est épaissi à tel point que la végétation s’est retrouvée «perchée» au-dessus du niveau de la nappe et que la végétation de bas-marais laisse place à celle de hautmarais qui se contente uniquement des précipitations pour subsister. Au tournant des 19e et 20e siècles, le prélèvement de la tourbe comme combustible a mis un coup d’arrêt à cette quiétude multimillénaire. La tourbe accumulée par la végétation de haut-marais a ainsi disparu et vers 1970 un important réseau de fossés de drainage a été aménagé dans la partie orientale du marais. Cet asséchement a conduit à la dégradation de la tourbe en surface et tout ce secteur s’est retrouvé à l’ombre d’une monotone forêt d’épicéas. Cette évolution n’était plus réversible naturellement et les fossés de drainage continuaient à soutirer l’eau vitale du marais. Pro Natura a donc décidé d’agir pour que le marais recouvre une végétation typique et que des plantes et animaux menacés de disparition y retrouvent un milieu propice.
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Travaux d’envergure
- Bastien Amez-Droz
En septembre 2015 – quatre ans après les premières discussions et l’établissement d’une planification soignée – les pelles-rétro de vingt tonnes entraient en action après que deux hectares furent libérés de leurs épicéas pour permettre les travaux. Grace à leurs chenilles extra-larges pour ménager le sol tourbeux sensible et à l’habileté de leurs conducteurs, les travaux étaient déjà terminés à la mi-novembre. Un kilomètre de fossés latéraux étaient comblés et le fossé principal, profond de deux mètres, était inactivé à l’aide de neuf palissades de madriers en bois.
Un sacré choc pour l’écosystème, avec un sol à nouveau gorgé d’eau et plus de deux hectares de tourbe nue. Que faire? Nous avons choisi de laisser une chance à la nature de se rétablir par elle-même à partir de cette nouvelle situation. En automne 2016, le retour spontané de la végétation dépassait nos espérances. Depuis, l’évolution est spectaculaire, les espèces tant typiques que rares des marais sont de retour et les sphaignes s’implantent efficacement dans le secteur le plus bas. Les sphaignes sont les mousses particulières qui permettent à un bas-marais d’évoluer vers un haut-marais, soit une tourbière bombée comme elle existait il y a encore un siècle dans la partie orientale du marais des Pontins. Grâce aux surfaces d’eau créées, le marais est aujourd’hui un habitat pour des milliers d’amphibiens et de libellules.
Faune et flore de retour
Outre le renouveau du cœur de la tourbière, les travaux ont engendré une explosion de la diversité des fleurs dans les parties plus élevées. Les insectes et les oiseaux sont nombreux à venir se servir. Les graines des cirses – de jolis chardons aux fleurs violettes – offrent une nourriture précieuse en été pour les familles de chardonnerets et les insectes butineurs.
Les travaux ont certes été un choc pour l’écosystème, mais sont avant tout une intervention salvatrice. En quelques années, la pessière sombre et presque déserte a laissé place à une oasis de biodiversité contrastant avec les prairies intensives alentours. Le coût d’un tel projet – celui d’un petit giratoire, soit environ 700 000 francs – vaut la peine: les effets positifs, qui s’étalent sur plus de six terrains de football, dureront de très nombreuses années, au-delà de notre espérance de vie.
Prochaine étape en vue à Rothenthurm
Lieu symbolique de la protection des marais en Suisse, le site marécageux de Rothenthurm est le plus grand complexe de tourbières du pays. Pourtant la trace de l’être humain y est partout. L’exploitation de la tourbe, les captages d’eau et les fossés de drainage mettent en péril la conservation des biotopes d’importance nationale et leur précieuse biodiversité.
Pro Natura y protège 72 hectares de bas et de hauts-marais. La première étape de travaux de régénération de 2008–2014 porte ses fruits et nous démarrons cet automne une nouvelle étape qui s’étendra jusqu’en 2026 au moins dans les secteurs de Im äusseren Bann (Rothenthurm) et Wolfschachen (Einsiedeln). Sur ce dernier site, les particularités du terrain nous amènent à innover et nous construisons en ce moment une première palissade dont l’efficacité sera suivie en 2024, avant de poursuivre les travaux.
Informations complémentaires
Info
Cet article a été publié dans le Magazine Pro Natura.
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