Régénération des marais de Rothenthurm
Une nouvelle étape de travaux commence
Les répercussions de l'exploitation passée de la tourbe, les captages d’eau et les fossés de drainage menacent la survie des biotopes d’importance nationale et de leur précieuse biodiversité. Les marais de Rothenthurm ont soif, comme beaucoup d’autres tourbières en Suisse. À peine perceptible de prime abord, cet assèchement est bien visible si l’on en connaît les signes.
Sans eau, pas de marais
Pro Natura protège 72 ha de bas-marais et de hauts-marais dans la plaine de Rothenthurm. La première étape des travaux de régénération, réalisée entre 2008 et 2014, porte ses fruits; la prochaine étape, qui durera au moins jusqu’en 2026, commence actuellement dans les zones Im äusseren Bann (Rothenthurm) et Wolfschachen (Einsiedeln). Il s’agit en premier lieu de retenir durablement l’eau des précipitations dans le marais.
Pour ce faire, nous obstruons et remplissons de petits fossés de drainage. Aux endroits plus larges, nous enfonçons des palissades en bois dans le sol jusqu’à atteindre le sous-sol imperméable.
À Wolfschachen, les particularités du terrain nous amènent à innover: nous construisons actuellement une première palissade dont nous vérifierons l’efficacité en 2024 avant d’entamer la construction des palissades suivantes. Dès que la palissade sera terminée, nous la recouvrirons de tourbe et de végétation pour la protéger de la décomposition. Une fois les travaux terminés en novembre, la surface d’eau retenue par la palissade – seule trace visible de notre intervention –constituera un habitat optimal pour les rares libellules des tourbières.
Pourquoi l’intervention de l’être humain est-elle nécessaire à Rothenthurm?
Les marais tels que nous les connaissons aujourd’hui sont le résultat d’importantes modifications causées par l’être humain au cours des derniers siècles. En effet, ils ne sont protégés que depuis 1987 et les fossés de drainage creusés avant cette date continuent d’assécher les tourbières. La protection légale doit ainsi être concrétisée par des mesures pratiques sur le terrain.
Exploitation de la tourbe
L’exploitation de la tourbe sur de très grandes surfaces et le drainage à grande échelle qui en découle ont fortement perturbé le régime hydrologique naturel qui avait permis d’initier la formation de ces marais il y a près de 10 000 ans. Les marais tels que nous les connaissons actuellement sont fortement marqués par les actions humaines d’hier et d’aujourd’hui. Les interventions qui ont eu lieu il y a 100 ans ont créé un déséquilibre. Des processus naturels tentent à présent de recouvrer un équilibre.
Pour comprendre les tourbières, il faut changer sa perception du temps. Un siècle à l’échelle d’une tourbière correspond à une année à l’échelle humaine. L’évolution actuelle des tourbières est effectivement très rapide pour ces écosystèmes plurimillénaires, alors qu’elle nous paraît lente et peu marquée. Certains problèmes, comme l’assèchement et l’érosion, sont pourtant bien visibles.
Il est possible que certaines parties du marais retrouvent elles-mêmes leur équilibre au cours de ce siècle. Mais d’ici là, de nombreux éléments qui font du marais un milieu naturel si précieux risquent de disparaître, tout comme les animaux et les plantes rares qui y vivent. Aux endroits où l’hydrologie a été trop fortement perturbée, la tourbière risque de disparaître complètement et d’être remplacée par la forêt. Il est donc essentiel d’intervenir aujourd’hui pour compenser les interventions du passé.
- Bastien Amez-Droz
L’objectif de Pro Natura avec les palissades
Pour préserver les tourbières, nous devons les rendre plus humides. Pour cela, nous maintenons l’eau des précipitations le plus longtemps possible dans le corps de tourbe. Nous retenons l’eau aux endroits favorables et comblons les fossés de drainage. Puis nous redonnons aux flux d’eau leur direction initiale ou rétablissons une topographie favorable.
Nous intervenons sur de petites surfaces pour obtenir des effets positifs beaucoup plus étendus. Ainsi, la végétation typique peut se réinstaller en douceur et, plus tard, la formation de tourbe reprendra, ce qui se répercutera positivement sur le climat.
Les travaux prévus pour 2023-2026 sont plus importants que les mesures prises jusqu’à présent. Nous souhaitons réaliser les travaux suivants dans les secteurs Wolfschachen (Einsiedeln) et Im äusseren Bann (Rothenthurm):
- Bastien Amez-Droz
Nous devrons abattre quelques arbres et arbustes et supprimer des éléments de moindre valeur écologique pour créer des conditions qui permettront au marais de se développer à nouveau. Dans quelques années, la biodiversité sera plus grande qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Nous limitons l’impact momentané au strict minimum et conservons la végétation ayant la plus grande valeur écologique. Il peut y avoir des pertes momentanées sur de petites surfaces. Mais en l’espace d’un ou deux ans, il y aura déjà des améliorations significatives. La libération de CO2, quant à elle, peut être stoppée immédiatement: en effet, il est possible de mettre fin à la décomposition de la tourbe desséchée, et par conséquent à la libération de CO2, en la réhumidifiant.
Pour le savoir, il faudrait venir jeter un œil pendant les travaux, car peu après, il n’y a plus rien à voir si ce n’est l’eau retenue dans le marais. Pour que les ouvrages en bois ne pourrissent pas, ils doivent être maintenus humides. Ils sont donc construits dans le corps de la tourbe et sont ensuite recouvertes de tourbe et de la végétation prélevée au même endroit au début des travaux.
Les palissades sont constituées de madriers en bois dotés de rainures et de crêtes qui s’emboîtent les uns dans les autres pour former un barrage étanche de la longueur souhaitée. Selon la taille du fossé à obstruer, il faut parfois un étai en troncs pour soutenir la palissade face à la pression de l’eau. Nous travaillons avec des partenaires locaux et utilisons du bois de la région.
Les petits fossés sont comblés avec de la tourbe afin de retrouver une surface plane: la végétation est d’abord retirée puis le fossé est nettoyé de la tourbe décomposée. Ensuite, il est comblé avec de la tourbe intacte et la végétation précédemment mise de côté est replacée par-dessus.
À Wolfschachen, une petite surface a été partiellement épargnée lors de l’extraction de la tourbe au siècle dernier. De ce fait, elle est plus élevée que les surfaces environnantes et ne reçoit plus assez d’eau. Par conséquent, elle est colonisée par la molinie bleue, une espèce d’herbe. Si rien n’est entrepris, la tourbe disparaîtra à cause de sa décomposition. Compte tenu de la topographie actuelle, il n’est pas possible de régénérer cette surface. Nous allons donc mettre la végétation de côté et retirer une couche de tourbe. Avec la tourbe prélevée, nous comblerons les fossés et recouvrirons les palissades en bois. Parallèlement, en modifiant la topographie, nous créerons des conditions plus humides qui permettront à cette surface de se régénérer. La végétation sera replacée à son emplacement d’origine et profitera de ces nouvelles conditions plus humides.
Sur le site Im äusseren Bann, nous allons prélever un peu de tourbe à un endroit où la végétation est trop sèche. Cela créera une réserve d’eau, profitable à la tourbière en période de sécheresse, ainsi qu’un habitat favorable à la reproduction des libellules des marais et des grenouilles.
Photo: Les fossés comblés en 2014 à Wolfschachen ne sont plus visibles aujourd’hui et l’agriculteur peut continuer à faucher la tourbière. © Bastien Amez-Droz
Pro Natura collabore depuis longtemps avec des agriculteurs de la région, qui entretiennent les surfaces qui doivent être fauchées. Les travaux de régénération n’auront qu’un impact très limité sur l’exploitation des surfaces à litière. Seuls deux palissades inonderont des surfaces qui sont actuellement fauchées. Sur ces deux barrages, nous installerons un système de vidange qui permettra à l’agriculteur d’évacuer l’eau juste avant la fauche en septembre, afin de pouvoir circuler sur la surface. Cette courte période d’assèchement n’est pas gênante pour la régénération du marais.
Le marais se trouve dans un état très instable en raison des interventions humaines, ce qui entraîne une modification rapide de cet écosystème plurimillénaire. Si ces changements sont à peine perceptibles à l’échelle humaine, ils sont pourtant bien réels.
Un œil attentif peut observer par endroits un affaissement de la surface de la tourbe de plus d’un centimètre par an. En raison de l’assèchement, l’air peut pénétrer dans la tourbe, ce qui entraîne sa disparition: elle «s’évapore» pour moitié sous forme de CO2 et pour moitié sous forme de substances emportées par la pluie. Alors que les tourbières fixaient autrefois de grandes quantités de carbone, elles sont aujourd’hui des sources de CO2. Les observations des botanistes au cours des dernières décennies montrent que les tourbières s’assèchent un peu plus chaque année.
Photo: En 2008, ce panneau de bois était encore entièrement caché dans la tourbe. On peut mesurer la disparition de la tourbe à l’aune de la partie visible du panneau au-dessus de la surface de la tourbe. © Bastien Amez-Droz
Lorsque l’on jette des restes de légumes et de plantes sur le tas de compost, les décomposeurs dégradent la matière organique. Il se passe la même chose avec les feuilles mortes sur le sol de la forêt. Dans un marais, c’est différent. Dans des conditions constamment humides ou mouillées, il n’y a pas assez d’oxygène dans le sol et les décomposeurs ne peuvent pas y vivre. En leur absence, les débris végétaux ne se décomposent pas complètement et s’accumulent au fil des ans. C’est ainsi que se forme la tourbe, à raison d’un millimètre par an en moyenne. Il faut donc environ 2000 ans pour qu’une tourbière accumule deux mètres de tourbe.
Les plantes ont besoin de carbone pour se développer et se former. Elles l’obtiennent par la photosynthèse. En bref, les plantes extraient le dioxyde de carbone de l’air (CO2), conservent le carbone (C) et rejettent l’oxygène (O2). Étant donné que dans les tourbières, les restes de ces plantes ne se décomposent pas mais s’accumulent sous forme de tourbe, le carbone est ainsi stocké. Les tourbières saines sont donc des puits de carbone. Elles font même partie des puits de carbone les plus efficaces de la planète: dans une couche de tourbe d’environ 16 cm, il y a autant de carbone piégé que dans une forêt, arbres, feuillage et sol compris. Une tourbière d’un seul hectare avec un corps de tourbe de 5 mètres d’épaisseur stocke autant de carbone qu’une forêt de 30 hectares.
Les scientifiques estiment que les tourbières (seulement 3 % de la surface terrestre mondiale) stockent plus de carbone que toutes les forêts réunies. L’assèchement et l’exploitation des tourbières sont doublement problématiques du point de vue climatique:
- la séquestration du carbone (et donc le prélèvement de CO2 dans l’air) est interrompue, et
- la tourbe accumulée est exposée à l’air, ce qui déclenche sa décomposition et la libération de grandes quantités de CO2. C’est ainsi que les puits de carbone deviennent des sources de CO2 à cause de l’action humaine.
Il existe différents indicateurs:
- Les botanistes examinent à intervalles réguliers des surfaces dans les marais et notent la composition de la végétation. Les résultats montrent que les plantes qui ne peuvent vivre que dans des conditions très humides sont peu à peu remplacées par des plantes qui s’accommodent mieux de conditions plus sèches.
- La molinie bleue est une espèce d’herbe particulière qui ne pousse que là où le niveau d’eau dans le sol varie. Elle devient de plus en plus envahissante, ce qui montre que les périodes de sécheresse dans le sol tourbeux sont de plus en plus fréquentes. C’est d’autant plus problématique que cette herbe apporte activement de l’oxygène dans sol via ses racines, ce qui renforce encore la dégradation de la tourbe.
- L’assèchement de la tourbe entraîne sa dégradation. Alors que la tourbe intacte a une structure fibreuse qui la rend stable, elle se transforme de plus en plus en une sorte de bouillie. Celle-ci ne peut pas résister à l’érosion causée par l’eau.
- En 2008, des panneaux de bois ont été installés pour retenir l’eau. Ils étaient alors entièrement enfoncés dans la tourbe et invisibles. Seulement 15 ans plus tard, ils dépassent du sol de plusieurs dizaines de centimètres. Cela montre clairement que la tourbe disparaît peu à peu.
Les Pontins BE juste après les travaux et 7 ans plus tard
Des travaux similaires ont été effectués aux Pontins BE. Au bout de deux ans déjà, la végétation était de retour et, au bout de sept ans, le marais s’agrandit à nouveau. À Rothenthurm, les surfaces travaillées seront directement recouvertes avec la végétation existante, végétation qui faisait défaut aux Pontins.