Hanspeter Guggenbühl: «Il y a une étroite corrélation entre le développement économique et l’état de l’environnement»
Magazine Pro Natura: à la veille des élections, il semble que nous n’ayons plus trop de soucis à nous faire pour l’avenir de la planète. Presque tous les partis se montrent soudain très empressés de proposer des solutions vertes.
Hanspeter Guggenbühl: la plupart des partis ont fait le pari que les questions environnementales, notamment le changement climatique, seraient au cœur de la campagne électorale. Un seul parti se démarque en mettant en doute le changement climatique ou en affirmant que la Suisse ne peut rien y changer.
Vous parlez de l’UDC.
Exact. Je n’exclus pas que cette posture puisse avoir un certain succès, en séduisant les électeurs qui ne veulent pas entendre parler de politique climatique.
Le PLR a effectué un revirement spectaculaire dans le débat sur le climat. Vous qui suivez la politique environnementale depuis 40 ans, trouvez-vous son positionnement crédible?
Plusieurs commentateurs n’ont pas hésité à parler de virage à 180 degrés. Or, dans ses prises de position, le PLR s’est toujours préoccupé de politique environnementale, en réclamant par exemple depuis des décennies des taxes incitant à des comportements plus écologiques.
Il ne s’est pourtant jamais sérieusement engagé pour leur mise en œuvre.
Effectivement, dans les cas concrets, il a pris systématiquement d’autres décisions que celles qu’on était en droit d’attendre en lisant son programme.
Les questions environnementales ne sont-elles au fond qu’un gadget qu’il ne coûte rien au PLR d’inscrire dans son programme, alors qu’en réalité, ce sont toujours les intérêts économiques qui priment?
En tant que journaliste, je me suis beaucoup intéressé au iatus entre les paroles et les actes, et de ce point de vue, le parti qui se décrit lui-même comme le champion de l’économie n’est pas exempt de contradictions. Concrètement, le PLR a toujours défendu en priorité les intérêts à court terme des milieux économiques et s’est conformé aux mots d’ordre des grandes organisations patronales. Tous les partis privilégient le court terme, car une législature ne dure que quatre ans et les politiciens doivent pouvoir se targuer d’avoir remporté des «victoires» durant ce laps de temps s’ils veulent être réélus.
Pendant une courte période, juste après Fukushima, le PLR voulait lui aussi sortir du nucléaire …
… oui, et ensuite, il a combattu la nouvelle stratégie énergétique. Il faut vraiment être très naïf pour croire que le bleu est la vraie couleur de l’écologie et que le PLR est un parti soucieux de l’environnement.
Hanspeter Guggenbühl (70 ans) est journaliste indépendant et couvre depuis plus de quarante ans la politique environnementale et économique de la Suisse dans divers médias nationaux. Il a écrit plusieurs livres sur ses thèmes de prédilection, en particulier sur la politique de croissance.
Au milieu de l’échiquier politique, on trouve le parti démocrate-chrétien, qui déplore que plus personne ne soutienne une politique centriste, mesurée et consensuelle. Pensez-vous que le PDC puisse jouer un rôle de médiateur apte à réconcilier la droite et la gauche sur les sujets environnementaux?
L’écorating montre que le PDC vote plus souvent en faveur de l’environnement que le PLR, pour ne rien dire de l’UDC. Le PDC peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, et il a pu aider le camp rose-vert à remporter quelques victoires, mais de façon générale, l’environnement n’est pas une priorité pour lui.
Selon vous qui êtes familier de la politique fédérale depuis de longues années, peut-on se fier au PDC ? Restera-t-il fidèle à son programme dans les débats environnementaux à venir?
Le PDC est une véritable pochette surprise ! Et il vote de manière moins compacte que les partis à sa gauche ou à sa droite.
A en croire l’écorating, les Verts et le PS présentent un bilan irréprochable sur les questions environnementales. Sont-ils les garants d’une politique cohérente en la matière?
Ces dernières décennies, les partis rose-vert ont effectivement été les seuls à s’engager avec constance en faveur de l’environnement. Mais l’écorating ne reflète pas toutes les influences réelles sur notre environnement. Dans le monde entier, mais en Suisse également, il y a une étroite corrélation entre le développement économique et l’état de l’environnement. Plus l’économie croît, plus elle a d’impact sur la nature, car cela signifie davantage de ressources consommées, d’émissions de CO2 et de déchets produits. C’est pourquoi l’année 2009, en pleine récession, fut la seule depuis le début du millénaire où les rejets de gaz à effet de serre ont diminué au niveau mondial. Mais les politiques n’en ont pas pour autant prôné la décroissance, tant au niveau mondial que chez nous. Ces dernières années, la consommation de ressources a certes été légèrement découplée de la croissance économique, mais dans l’absolu, elle continue à augmenter.
Les Verts libéraux vous objecteraient sans doute que les progrès de la technologie permettront de résoudre les grands problèmes environnementaux.
Ils peuvent le dire, et c’est ce qu’on entend dans la bouche de tous les technocrates de l’environnement depuis cinquante ans. En ce qui concerne la destruction des écosystèmes, la consommation de ressources et le changement climatique, cet espoir ne s’est malheureusement pas réalisé. On peut penser que tout cela va changer et voter pour les Verts libéraux. Personnellement, je ne suis pas sûr que le salut vienne de la technologie. Des avancées techniques ont certes permis de diminuer certaines nuisances, par exemple les filtres à particules, mais au final, il ne s’agit que de combattre des symptômes.
Vous êtes en train de dire que la politique n’aborde que très peu le fond du problème.
En effet, la question centrale que devrait se poser l’humanité, c’est celle d’un monde dont l’économie n’aurait plus besoin de croître sans cesse pour fonctionner. Mais les contraintes du monde économique échappent largement à la sphère d’influence des politiques.
La politique fixe les conditions-cadres de l’activité économique.
Oui, mais jusqu’à présent, aucun politicien n’a osé proposer une diminution du produit intérieur brut.
Dans le camp rose-vert, la consommation des ressources est un thème important. C’était même l’un des aspects centraux de l’initiative des Verts «Pour une économie durable et fondée sur une gestion efficiente des ressources». La votation a été un échec cuisant, ce qui montre bien que de telles exigences n’ont pas le soutien de la majorité.
Cela montre peut-être le dilemme des politiciens : si quelqu’un plaide pour un ralentissement de l’activité économique, il a de bonnes chances de ne pas être réélu.
Vous semblez désabusé, comme si cela ne faisait pas vraiment de différence de voter pour tel parti plutôt que pour tel autre, voire de ne pas voter du tout.
Dans un monde globalisé, régi par de multiples contraintes économiques, l’influence de la politique est effectivement limitée. Mais on peut s’engager à l’intérieur de ces limites, en toute connaissance de cause, et atteindre ce qui est possible. Quelqu’un a dit: même si le monde devait s’écrouler demain, cela vaudrait la peine aujourd’hui de planter un pommier.
Interview: Raphael Weber, rédacteur en chef du Magazine Pro Natura.
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Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.
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