Valeurs limites pour les pesticides: un tournant décisif s’impose!
Des substances de dégradation potentiellement cancérigènes en plus fortes concentrations dans l’eau potable suisse: le chlorothalonil a fait la une des journaux durant l’été 2019. Ce fongicide utilisé dans la culture des céréales, des légumes et de la vigne, a été interdit dans l’UE en mars 2019. A la fin de l’année, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a également réagi en interdisant ce pesticide à partir de 2020.
Le chlorothalonil est utilisé dans l’agriculture suisse depuis les années 1970. Rien qu’en 2018, 36,9 tonnes de ce poison ont été répandues. Le chlorothalonil a été soumis à l’examen des autorités dans le cadre d’une enquête sur les pesticides autorisés depuis longtemps. L’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) a dû reconnaître que le chlorothalonil présentait un risque trop important pour la santé pour que l’on continue à l’utiliser en agriculture. Mais le chlorothalonil n’est que le dernier exemple en date des problèmes de la Suisse en matière de pesticides.
Des substances toxiques dans tout le cycle écologique
Tôt ou tard, ces toxines ou leurs substances de dégradation finissent dans les eaux. La quantité d’intrants tolérable est déterminée par la Loi sur la protection des eaux et l’Ordonnance sur la protection des eaux qui y est associée. Les choses sont en train de changer: le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) a fait savoir qu’il révisait à la baisse les valeurs limites de certains pesticides. Pour les eaux qui ne sont pas destinées à l’approvisionnement en eau potable, par contre, les valeurs limites vont être révisées à la hausse. Cette distinction ente les eaux utilisées comme eau potable et les eaux qui ne le sont pas est déconcertante.
Auparavant, une valeur limite de 0,1 microgramme par litre d’eau était fixée pour tous les pesticides. L’objectif était de garantir que la concentration des substances ne soit pas nocive pour l’écosystème ou pour l’être humain, s’il les ingérait par exemple via l’eau potable.
Cependant, il existe des pesticides qui peuvent avoir un effet sur l’environnement même en quantités bien moindres. Il s’agit de substances particulièrement toxiques. C’est pourquoi les valeurs limites ont été évaluées spécifiquement pour différentes substances toxiques. Pour certaines d’entre elles, une nouvelle valeur limite inférieure à 0,1 microgramme est désormais en vigueur. Cette valeur varie selon le type de pollution: à court terme (toxicité aiguë) ou à plus long terme (toxicité chronique). En cas de toxicité chronique, la cyperméthrine – un insecticide employé dans l’agriculture et l’économie forestière –, par exemple, ne devra plus dépasser à l’avenir une concentration de 0,00003 microgramme par litre, soit 3000 fois moins qu’auparavant.
Des eaux de seconde zone
Il y a un an à peine, le Conseil fédéral prévoyait encore de relever les valeurs limites de diverses substances, parfois dans une mesure considérable. Grâce aux réactions lors de la consultation du projet, il a finalement conservé la valeur limite maximale de 0,1 microgramme pour les eaux destinées à l’approvisionnement en eau potable. Ce qui est incompréhensible, c’est que cette valeur ne sera plus strictement applicable à l’avenir pour les eaux qui ne sont pas utilisées comme eau potable. Des concentrations plus élevées de différentes substances y seront désormais tolérées dans certains cas, ce qui est inadmissible au regard du principe de précaution.
Les petits et moyens cours d’eau, en particulier, sont parfois très fortement pollués par des pesticides. Ils sont toutefois rarement exploités pour l’approvisionnement en eau potable et ne profitent donc pas de la protection offerte par la valeur limite de 0,1 microgramme. Dans ces cours d’eau, il y a selon les sites des douzaines de substances différentes dont les effets conjoints n’ont pas été examinés. Au regard du principe de précaution, il est nécessaire d’un point de vue écologique de renoncer à augmenter la valeur limite en vigueur jusqu’à présent pour ces eaux également. Pour certains pesticides extrêmement toxiques, cette valeur est déjà beaucoup trop élevée.
Pro Natura estime que la voie adoptée avec l’ajustement des valeurs limites par substance ne résout pas le problème: les pesticides hautement toxiques, en particulier, ne devraient plus du tout être utilisés. Les cours d’eau et les nappes phréatiques devraient être exempts de tous les polluants très puissants et de leurs substances de dégradation.
Et tant que l’on ne saura pas comment les pesticides interagissent entre eux, c’est-à-dire l’effet que ce cocktail toxique a sur l’environnement, le principe de précaution doit être observé. La toxicité croisée est une «boîte noire». Nous ignorons les effets de la présence simultanée de plusieurs pesticides dans les sols, les eaux et l’eau potable.
Des autorisations qui ne soient plus du ressort de l’Office fédéral de l’agriculture
En outre, Pro Natura réclame d’urgence une nouvelle pratique en matière d’autorisations: l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) n’est pas l’organisme idéal en la matière, car il se retrouve pris dans un conflit d’intérêts entre les intérêts de l’agriculture et les préoccupations du grand public. Depuis 2007, plus de 140 pesticides initialement autorisés ont été retirés du marché, parce qu’il a été démontré qu’ils causaient des dommages importants à l’environnement ou présentaient un risque de cancer pour l’homme. L’un de ces pesticides est le chlorothalonil. Pro Natura s’attend à ce que des polluants aussi problématiques ne soient même plus autorisés à l’avenir.
Il faut faire en sorte que les pesticides extrêmement puissants ne soient plus déversés dans les milieux naturels. C’est le seul moyen de garantir la santé des êtres humains, des animaux et de l’environnement. S’il est inacceptable que nous absorbions des polluants en buvant l’eau du robinet, il l’est tout autant que nous empoisonnions le sol et les eaux avec de telles substances, et que nous compromettions ainsi gravement les organismes vivant dans le sol ainsi que l’équilibre écologique.