Quatre raisons écologiques de dire oui à l’initiative contre l’élevage intensif
Ça meugle, ça couine et ça caquette dans tous les coins de la Suisse. Des millions d’animaux de rente vivent sur notre territoire et leur nombre ne cesse d’augmenter. Le cheptel agricole a pratiquement doublé depuis les années 2000, alors que le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 20 % sur la même période. Cette évolution se fait au détriment du bien-être animal et dessert également la biodiversité, le climat et le paysage. L’initiative contre l’élevage intensif représente un pas important vers un élevage respectueux de la nature. Le conseil des délégués-ées de Pro Natura a donc décidé, en avril dernier, d’en recommander l’acceptation. Philipp Ryf, directeur de la campagne «Oui à l’initiative contre l’élevage intensif», résume ainsi les bienfaits pour la nature et l’environnement: «La production animale industrielle hors-sol émet d’énormes quantités de gaz à effet de serre et d’ammoniac. L’initiative contre l’élevage intensif demande que les animaux soient de nouveau plus souvent élevés en plein air. La Suisse pourra ainsi être à la hauteur de l’image qu’elle se fait et qu’elle aime à donner d’une agriculture qui ménage les ressources et respecte les animaux.»
Quatre raisons de glisser un oui dans les urnes le 25 septembre 2022:
1. Sauvegarder la biodiversité
Les bovins produisent du lisier, beaucoup de lisier. L’azote que celui-ci contient se transforme en ammoniac (NH3), une molécule qui apparaît lors de la dégradation de l’urine et des
protéines contenues dans le lisier et le fumier. La Suisse en produit annuellement près de 42 000 tonnes – soit 70 % de plus que ce qui est prévu dans les objectifs environnementaux pour l’agriculture –, dont 94 % proviennent de l’agriculture, selon une étude de la Haute école spécialisée de Berne commandée par l’Office fédéral de l’environnement.
De grandes quantités de NH3 se volatilisent dans les étables, lors de l’entreposage ou de l’épandage du lisier. Sous sa forme gazeuse, l’azote est alors transporté par l’air, se dépose sur la végétation et les sols, s’y accumule et contribue à leur acidification, affectant particulièrement les écosystèmes sensibles. Il nuit aussi directement à la flore, puisque la toxicité agit via les cellules de la feuille. Les lichens ainsi que les écosystèmes fragiles comme les prairies maigres et la végétation des sous-bois sont particulièrement vulnérables. Ainsi, l’ammoniac joue un rôle important dans l’extinction des espèces. A l’heure actuelle, tous les hauts-marais, 84 % des bas-marais, 42 % des prairies et pâturages secs et 95 % des forêts souffrent d’apports excessifs d’azote, comme le constate l’Office fédéral de l’environnement dans son rapport «Biodiversité en Suisse : état et évolution. Synthèse des résultats de la surveillance de la biodiversité» (2017). Pour Ursula Schneider Schüttel, présidente de Pro Natura, il est urgent d’agir: «Pour préserver la biodiversité et, par conséquent, les fonctions essentielles à la survie des sols, des forêts et des eaux, il faut réduire considérablement le nombre d'animaux de rente en Suisse.»
2. Protéger le climat
Ce que nous mangeons a un impact direct sur le climat. Selon Agroscope, le centre de compétences de la Confédération pour la recherche agricole, environ deux tonnes d’équivalent CO2 sont émises en moyenne par an et par habitant-e en Suisse pour notre alimentation. Le bilan serait tout autre si celle-ci était essentiellement végétale. De surcroît, les plantes absorbent le CO2 et stockent le carbone dans le sol. Selon le Rapport mondial sur l’agriculture, «l’agriculture pourrait donc en théorie nous nourrir de manière climatiquement neutre à long terme et même, à court terme, fixer plus de CO2 qu’elle n’en émet». Nous en sommes loin. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), au niveau mondial, 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent de l’élevage des animaux de rente.
Bien que les régimes végétarien et végétalien soient de plus en plus socialement acceptés et adoptés, la consommation de viande reste très élevée. En Suisse, chaque personne en consomme 51 kilos par année, ce chiffre n’incluant pas la viande achetée hors de nos frontières. Une agriculture respectueuse du climat passe par une réduction de la consommation des produits d’origine animale, ce qui bénéficierait également à notre santé, les méfaits d’une alimentation (trop) carnée étant désormais scientifiquement prouvés.
De plus, œuvrer à la réduction de la consommation de viande, d’œufs et de produits laitiers en Suisse permettrait de réaffecter les grandes quantités de céréales et de légumineuses qui nourrissent les animaux de rente à l’alimentation humaine.
3. Atténuer le changement structurel
Si le nombre d’exploitations agricoles a diminué, le rapport agricole 2021 mentionne que la surface moyenne d’une exploitation agricole en Suisse a presque doublé en 30 ans, pour atteindre aujourd’hui 21,15 hectares. Le nombre d’animaux élevés par exploitation a ainsi considérablement augmenté. L’initiative déplore leur entassement et le bafouement des besoins d’espace, de jeux et d’accès à l’extérieur selon les besoins de chaque espèce. La taille croissante des troupeaux complique également le déplacement des ruminants au pâturage.
Pour Kilian Baumann, président de l’association des petits paysans, paysan bio lui-même et conseiller national vert, cette évolution est problématique: «Si l’agriculture biologique contribue à la promotion de la biodiversité, un paysage agraire diversifié et composé d’une multitude de petites exploitations y joue un rôle tout aussi décisif. Pour lutter contre la disparition des insectes et des oiseaux, il faut donc aussi s’attaquer à la disparition des fermes et à l’appauvrissement des structures qu’elle entraîne.»
4. Préserver le paysage
En plus de la taille, la législation sur le bruit et la qualité de l’air contribue également à l’éloignement et la dispersion géographique des étables. Pour Franziska Grossenbacher, directrice adjointe de la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage, les prescriptions liées aux distances minimales requises entre une exploitation et les zones d’habitation ajoutent encore à la complexité du problème. «Ces prescriptions incitent à construire des étables toujours plus loin, malheureusement le plus souvent hors des zones à bâtir, ce qui nécessite également des nouvelles routes d’accès. En outre, les nouvelles constructions sont subventionnées à un taux ridiculement élevé, ce qui n’incite pas à rénover le bâti existant.» La manière dont sont construites les nouvelles étables pose également problème: le plus souvent préfabriquées, elles ne sont pas adaptées au site sur lequel elles sont implantées, ce qui nécessite de nombreux travaux d’aménagement du terrain.
L’initiative contre l’élevage intensif peut contribuer à ce que les très grandes étables deviennent plus rares. « Des troupeaux plus petits ont un impact positif à cet égard », constate Franziska Grossenbacher. «Mais cela ne suffira pas à résoudre tous les dysfonctionnements, l’initiative n’est qu’une pièce du puzzle.»
Bettina Epper est rédactrice en cheffe adjointe du Magazine Pro Natura.
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Cet article a été publié dans le Pro Natura Magazine.
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