Les causes du mitage du territoire suisse sont multiples
Ça ne rate jamais: chaque fois que Pro Natura publie un dossier sur l’aménagement du territoire et l’expansion des zones urbaines, on lui reproche de tomber dans le politiquement correct et d’occulter la cause véritable du bétonnage de nos campagnes, «l’immigration». Nous n’y échapperons pas avec ce numéro de notre magazine, et durant la campagne en vue des élections fédérales. Nous tenons donc à clarifier notre position.
La croissance à tout prix comme remède miracle
L’évolution démographique est certainement un des moteurs du développement urbain, mais pour Pro Natura, d’autres facteurs jouent un rôle beaucoup plus important dans le mitage des régions rurales en Suisse. La première est à chercher du côté de la politique fédéraliste d’aménagement du territoire. Durant des décennies, les communes ont eu les mains libres pour délimiter leurs zones à bâtir. La plupart d’entre elles ont considéré la croissance à tout-va comme une solution miracle. C’est ainsi que la Suisse s’est couverte de maisons individuelles, un modèle d’habitat inefficient et dévoreur d’espace.
Il a fallu que Pro Natura fasse pression avec sa première initiative sur le paysage pour obtenir la révision et le durcissement de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT), jusque-là trop peu efficace. Une large majorité du peuple suisse a dit oui au projet en 2013. Dès lors, les cantons ont été tenus de gérer plus parcimonieusement le foncier disponible, de favoriser des formes d’habitat plus rationnelles, de densifier le bâti et de mieux concentrer les nouveaux lotissements le long des axes de communication existants.
- Fabian Biasio
C’est évidemment une bonne chose. Mais la première révision de la LAT s’est focalisée sur l’espace urbain et a négligé les zones agricoles. Grâce à une pléthore d’exceptions, celles-ci ont connu un véritable boom de la construction. Pro Natura a réagi, avec d’autres organisations de protection de l’environnement, en lançant la seconde initiative sur le paysage, en cours d’examen aux Chambres fédérales.
Quelle que soit l’issue de ce débat, le bétonnage anarchique de notre territoire ne peut pas être mis sur le compte de l’immigration.
On peut objecter, à juste raison, que l’immigration aggrave la pénurie de logements sur un marché immobilier déjà en surchauffe. Quelques remarques à ce sujet. La situation actuelle est aussi le résultat de notre société de croissance et d’abondance:
Le directeur du Swiss Real Estate Institute calculait récemment dans le Tages-Anzeiger qu’un tiers des logements de la ville de Zurich serait vide si la surface habitable s’était maintenue au niveau des années 70. Rappelons ici que la population étrangère a tendance à vivre dans de plus petits logements. Autre aspect à considérer, l’utilisation inefficiente d’énormes surfaces habitables: plus de 250 000 maisons individuelles ne comptent qu’un à deux occupants.
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L’immigration comme conséquence du dumping fiscal
- Fabian Biasio
Pour revenir à la question de l’immigration, celle-ci est avant tout le résultat d’une politique axée sur la croissance et les cadeaux fiscaux. Depuis plusieurs décennies, d’innombrables sociétés étrangères ont été incitées à s’établir dans notre pays à des conditions extrêmement avantageuses. Elles ont logiquement amené avec elles ou attiré une main-d’œuvre internationale. Les mêmes forces politiques qui n’ont cessé d’encourager et de défendre le dumping fiscal capitalisent aujourd’hui sur cette immigration à des fins électorales.
Un exemple actuel: le Conseil fédéral a proposé aux Chambres d’introduire une taxe au tonnage pour les compagnies de transport maritime installées en Suisse. Celles-ci n’auraient plus à s’acquitter d’un impôt sur leurs bénéfices, mais seulement d’un montant forfaitaire calculé selon la capacité de chargement des bateaux. Désastreux pour l’écologie, ce régime fiscal spécial profiterait avant tout aux grands acteurs du négoce de matières premières. Au Conseil national, l’UDC a bruyamment soutenu le projet, supposé attirer encore davantage d’entreprises et créer de nouveaux emplois.
Mais logiquement, cela aurait aussi accru l’immigration. Conséquence: dans les cantons (à majorité bourgeoise) qui connaissent un faible taux d’imposition et accueillent de nombreuses multinationales, les prix des appartements et des maisons poursuivent leur folle ascension. Il devient difficile de s’y loger avec un salaire normal. Et revoilà l’UDC qui lance une initiative pour limiter l’immigration au nom de la «durabilité».
L’économie n’est pas la seule à croître
En tant qu’organisation de protection de la nature, Pro Natura ne juge pas le sens et l’utilité des pratiques fiscales et politiques qui stimulent non seulement la croissance économique, mais aussi la croissance de la population et des surfaces d’habitation. Mais elle refuse qu’on réduise un phénomène complexe à un facteur unique et qu’on brandisse l’immigration comme cause numéro un du mitage du territoire suisse.
- Matthias Sorg
Ajoutons ceci: qu’une personne habite à New York, Londres, Genève ou Singapour, elle a partout une empreinte carbone, généralement trop élevée. Pour l’avenir de la Terre, cela revient au même. Stopper l’immigration en Suisse n’aura aucun effet sur la consommation mondiale de ressources, bien au contraire: les habitantes et habitants de la Suisse seront probablement encore plus tentés de vivre dans l’abondance et de ne pas réduire leur consommation élevée de ressources, qui équivaut, rappelons-le, à 2,8 planètes.
L’environnement a besoin de solutions globales
Une politique environnementale viable ne peut s’entendre qu’à l’échelle mondiale. C’est pourquoi Pro Natura s’engage non seulement pour la protection de la nature en Suisse, mais aussi au sein du réseau international Friends of the Earth, pour que tous les pays combattent efficacement le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, et que la Terre entière reste vivable pour l’humanité. C’est ce que nous vous proposons dans ce numéro, avec son dossier coloré, en vous invitant à considérer que moins (de consommation) veut parfois dire plus (de qualité de vie)!
RAPHAEL WEBER, rédacteur en chef du Magazine Pro Natura.
La surface bâtie s’étend toujours davantage en Suisse. Pro Natura s’engage pour préserver durablement le territoire pour l’être humain et la nature.
Informations complémentaires
Info
Cet article a été publié dans le Magazine Pro Natura.
Le Magazine Pro Natura vous dévoile les petites merveilles de la nature, vous informe au sujet de gros projets et vous présente des personnalités captivantes. Il porte un éclairage sur les dessous des décisions politiques et révèle où, comment et pourquoi Pro Natura lutte pour la nature. Tous les membres Pro Natura le reçoivent cinq fois par an.