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19.10.2022 Politique environnementale

«Je refuse de faire à ces gens-là cadeau de ma résignation»

Promouvoir le changement de système par la base. Peu le font aussi bien que Rob Hopkins, activiste environnemental britannique et fondateur du mouvement Villes en transition («Transition Towns»). Nous sommes très heureux que sa tournée suisse ait fait halte au Centre Pro Natura de Champ-Pittet et que nous ayons pu nous entretenir avec lui de changement de système, de sobriété et de comment, en dépit de tout, rester optimiste…

Le mouvement Villes en transition, ce sont des militantes et militants écologistes qui depuis plus de quinze ans lancent des initiatives et des projets de durabilité dans de nombreuses villes du monde entier. Ils mettent ainsi en œuvre la transition vers une économie post-fossile et relocalisée. Le Réseau Transition («Transition Network») offre à toutes celles et ceux d’entre nous qui sont actifs ou qui souhaitent le devenir des conseils pour faire également de nos villes des villes en transition. Aujourd’hui, ce mouvement auto-organisé réunit plus de 1000 groupes dans le monde entier.

Le Réseau Transition est à l’image de Rob Hopkins. Celui-ci nous parle avec optimisme, le regard tourné sur la voie à suivre. Surtout, il le fait avec un enthousiasme contagieux.

À court terme, la crise climatique peut être vue comme une opportunité de s’attaquer à de nombreuses choses qui manifestement ne fonctionnent pas dans notre société. Nous devons notamment relocaliser beaucoup plus notre système économique. La «Ceinture Aliment-Terre» mise en place à Liège, en Belgique, en est un magnifique exemple. Bien sûr, nous ne verrons pas de villes autosuffisantes dans les toutes prochaines années, mais chaque pas dans cette direction crée de nouvelles opportunités, de nouveaux emplois et modes de vie.

Liège boucle sa «Ceinture Aliment-Terre»
En 2012, dans le cadre du réseau de transition de Liège, l’idée a vu le jour de développer un système alimentaire local autour de la ville. Le projet est désormais soutenu par les pouvoirs publics et a déjà été transposé dans six autres villes belges. Liège est un parfait exemple de projet issu d’une idée de type «et si...»: «Et si, en une génération, la majorité des aliments consommés par les Liégeoises et Liégeois provenaient de Liège même?» C’est cette question qui a inspiré et enthousiasmé tant de personnes et qui a finalement mis le projet en route. «Récemment, j’ai rencontré le maire de Marseille. Lui aussi souhaite acheter des terres autour de sa ville et mettre en place un nouveau système alimentaire», raconte Rob Hopkins.

«Changer le système, pas le climat», un slogan très populaire parmi les activistes du climat. Le réseau Transition permet des changements au niveau local mais, pour stopper la crise climatique, des changements systémiques à l’échelle mondiale sont nécessaires. Comment pouvons-nous transformer les initiatives locales en stratégies nationales et mondiales?

Nous ne devons jamais oublier à quel point les histoires et les exemples sont puissants. Tout ce que nous devons changer existe déjà quelque part. Si nous réfléchissons à ce qui doit changer dans une ville, nous pouvons suivre les exemples suivants: le réseau cyclable de Rotterdam, la démocratie locale de Barcelone, le nouveau système alimentaire de Liège, le quartier sans voitures de Fribourg-en-Brisgau, le modèle de quartiers «du quart d’heure» à Paris… Toutes ces initiatives existent déjà, il nous suffit maintenant de les rassembler et de les mettre en œuvre partout.

Comme je le dis toujours aux groupes locaux de transition: «Vous ne pouvez pas imaginer aujourd’hui ce que va devenir votre projet, qui sera concerné, ce que les gens vont en faire et ce que vous allez inspirer». J’ai vu tant de groupes stupéfaits, quelques années seulement après avoir lancé une idée, de tout ce que leur projet avait provoqué alors que celui-ci était si modeste initialement.

Transition
«À court terme, la crise climatique peut être vue comme une opportunité de s’attaquer à de nombreuses choses qui manifestement ne fonctionnent pas dans notre société.»
– Rob Hopkins

Bien sûr, les États doivent être beaucoup plus forts et s’affranchir beaucoup plus du contrôle des compagnies pétrolières et gazières, des institutions financières et des lobbyistes, de l’industrie pharmaceutique et agrochimique. Bien sûr, les entreprises doivent être beaucoup plus innovantes et proactives, et contribuer à transformer l’économie au lieu de s’accrocher désespérément à des schémas du passé. Mais je suis convaincu que les petites communautés, avec leurs projets inspirants et la force des histoires qu’elles racontent, sont une pièce très importante, vitale, du puzzle.

Comment faites-vous pour rester si optimiste, alors que toutes les prévisions concernant la crise climatique ne cessent d’empirer?

Nous savons qui est responsable du désastre climatique, quelles sont les 100 entreprises responsables de la majeure partie des émissions de CO2. La crise climatique est une guerre des riches contre les pauvres, du Nord contre le Sud, des puissances coloniales contre leurs anciennes colonies. Je refuse de faire cadeau à ces gens de ma résignation et de mon découragement.

Peter Kalmus, un célèbre climatologue, a dit un jour: «Ce qui me donne de l’espoir, c’est le fait que nous n’avons encore presque rien essayé.» Je trouve cela très fort. Nous n’avons même pas encore commencé à appliquer nos solutions à une vraie échelle. Nous savons exactement ce qui ne fonctionne pas, mais notre société continue sur la même voie parce que de puissants intérêts financiers en profitent. Personne ne peut dire que nos solutions ne fonctionnent pas, car nous ne les avons pas encore vraiment testées.

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«Ce qui me donne de l’espoir, c’est le fait que nous n’avons encore presque rien essayé.»
– Peter Kalmus

J’ai la réputation d’être optimiste. Mais il serait bien sûr inquiétant d’être toujours optimiste. Comme le dit Paul Hawken: «Si vous étudiez le climat et que vous n’êtes pas pessimiste, alors c’est que vous n’avez pas tout compris. Mais si vous passez un peu de temps dans les mouvements qui luttent partout pour trouver des solutions à la crise climatique et que vous ne ressentez pas d’optimisme, alors vous n’avez pas de cœur».

Je partage ce point de vue. Si, du fait de toutes les mauvaises nouvelles, on se laisse envahir par le pessimisme, on peut alors très vite se sentir paralysé et c’est un sentiment terrible. Mais il y a tant de projets et d’exemples positifs, il se passe tellement de choses dont on ne parle jamais… C’est pourquoi il est important de gérer notre consommation médiatique de manière plus consciente: contrôlons le fil de nos réseaux sociaux, ajoutons-y des canaux qui partagent et diffusent des histoires positives. C’est vital pour notre santé mentale!

Vous trouverez des nouvelles positives ci-dessous:
Réseau Transition sur Facebook
Pro Natura sur Instagram et Facebook
Documentaire «Demain – Partout dans le monde, des solutions existent»
Magazine d’actualités positives sur Instagram (en anglais)

Entretien mené par Bertrand Sansonnens, coordinateur Coopération internationale chez Pro Natura

Rues en transition: quand «moins» signifie «davantage»

Il y a 10 ans, un petit groupe autour de Rob Hopkins a développé l’idée des Rues en transition («Transition Streets»). La question était de savoir comment aider les ménages à utiliser moins d’énergie et moins d’eau, à vivre et à se déplacer de manière plus durable.

L’idée centrale des Rues en transition, c’est que des groupes locaux se forment au sein d’une rue: six à dix voisines et voisins se rencontrent sept fois, à chaque fois chez l’une ou l’un d’entre eux. Un cahier de travail leur est fourni, avec des idées de thèmes pour leurs réunions. Au cours de la première semaine, le groupe aborde par exemple le thème de l’énergie et toutes et tous réfléchissent ensemble à des questions de leur quotidien: Où se trouve le compteur électrique? Comment le lire? Comment économiser de l’énergie? À la réunion suivante, le groupe pourra se pencher sur le thème de l’eau, à celle d’après sur celui de l’alimentation, puis des transports, etc. Comme tout le groupe habite dans la même rue, souvent dans des maisons semblables et dans des conditions comparables, ses membres ont des problèmes similaires et les solutions à leurs problèmes se révèlent également similaires.

550 ménages d’une petite ville de 9000 habitants (Totnes, dans le sud de l'Angleterre) ont participé au projet pilote en 2013; la réduction de leur empreinte carbone a été de 1,3 tonne en moyenne, avec une économie d’environ 700 euros par an. Le concept a ensuite été adapté à d’autres pays, comme les États-Unis, l’Australie et la Belgique. Mais pour Rob Hopkins, le véritable point fort, c’est le résultat d’une enquête menée en partenariat avec une université: «Lorsqu’on a demandé aux gens ce que le projet leur avait apporté, personne n’a dit qu’il leur avait permis d’économiser du CO2 ou de l’argent… Mais toutes et tous se sont réjouis de mieux connaître leurs voisins et de se sentir davantage liés aux autres. Les groupes ont réduit leur consommation de ressources sans vraiment s’en rendre compte et, en même temps, ils ont renforcé leur sentiment de communauté. Et ça, je pense que c’est vraiment très important».

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