Une croissance sans limite ... même 50 ans plus tard
Lors de sa sortie, le Rapport du Club de Rome aurait pu faire l’effet d’une bombe. Il prévoyait que tant que l’humanité poursuivait un objectif de croissance économique effrénée, le système allait finir par s’effondrer sur lui-même au cours du 21e siècle. Par «effondrement», il faut comprendre une chute combinée et rapide de la population, des ressources, et de la production alimentaire et industrielle par tête.
Les chercheuses et chercheurs du Massachusetts Institute of Technology indiquaient que la seule manière d’éviter cette issue était de stabiliser le PIB mondial au niveau de 1975 et de considérer que tout progrès technique à venir ne devait pas favoriser une consommation croissante.
Bien évidemment, ce n’est pas le chemin que nous avons suivi. «Si nous restons sur cette trajectoire, les crises vont s’empirer», rappelle à juste titre Julia Steinberger, l’une des autrices principales du rapport du GIEC publié en avril dernier. Si la croissance économique doit, à relativement court terme, appartenir au passé, comment s’organiser? Et surtout, comment bifurquer?
«En faisant le choix de la décroissance», affirme Thimothée Parrique. Cet économiste, également enseignant à l’Université de Lund, en Suède, parle même de «post-croissance»: Il s’agit de nous penser comme partie intégrante de la nature. Si nous avions un rapport de sympathie avec elle – animaux, végétaux, eaux, écosystèmes – nous ne pourrions plus la maltraiter ni continuer à la piller.» Julia Steinberger, également économiste, professeure à l’UNIL et codirectrice académique du centre CLIMACT (UNIL-EPFL) affirme la même idée radicale: L’échelle de priorité correcte est celle qui soutient la vie, c’està- dire qu’il faut faire en sorte que les conditions d’habitabilité de la planète soient préservées.»
La dernière chance?
Le 29 août dernier, lors de la conférence d’ouverture d’Alternatiba – un mouvement citoyen pour l’urgence climatique basé à Genève – Julia Steinberger a rappelé qu’une nouvelle économie passe par l’arrêt rapide des activités liées à l’extraction des énergies fossiles. «Les entreprises de ce secteur, tout comme celles actives dans l’agroagriculture ainsi que les investisseurs qui les soutiennent ne commettent rien de moins qu’un crime contre l’humanité.»
Si le réchauffement climatique est déjà dangereux, pour l’experte, nous disposons des outils nécessaires pour stopper son avancement, en décarbonant l’économie. «Le rapport du GIEC intègre explicitement, au chapitre 5, des scénarios basés sur la sobriété énergétique. Les technologies actuelles, et nos connaissances dans l’organisation des sociétés et des infrastructures, montrent qu’il est possible d’avoir un bon niveau de vie tout en réduisant massivement la consommation énergétique. Nous pouvons abaisser de 40 à 70 % la demande d’énergie tous secteurs confondus.» Reste que les systèmes sont complexes et qu’il n’est pas aisé de savoir par où commencer pour enclencher le changement radical dont nous avons besoin. Julia Steinberger se réfère à Donella Meadows, pionnière dans la théorie des systèmes. «Il faut du militantisme et une confrontation directe avec les systèmes pour vraiment comprendre de quoi ils sont faits. La façon dont ils réagissent pour se défendre nous en dit beaucoup plus sur ce que nous devons faire pour les changer.»
- Matthias Sorg
Activisme efficace
Timothée Parrique défend lui aussi un activisme qui doit être efficace. «De plus en plus de personnes refusent de collaborer à ce système qui détruit la Terre. Nous avons collectivement intérêt à ce que les gens prennent des risques: refuser des emplois vides de sens, ne pas adhérer à la production en masse d’objets aussi inutiles que dangereux, et surtout sortir d’une certaine paresse intellectuelle qui justifie la justesse de la croissance par des mathématiques que je qualifierais de fumeuses.» Ces deux économistes ont relevé leurs manches et nous incitent à faire de même, car il y a de la place pour des actions transformatives.
MURIEL RAEMY est journaliste indépendante.
Un rendez-vous historique manqué
En avril 1968, un groupe de diplomates, d’universitaires, d’industriels et de membres de la société civile, soucieux de penser l’avenir du monde sur le long terme, s’est rassemblé sous le nom de Club de Rome. En 1970, il a passé commande d’un rapport auprès d’un groupe de chercheurs-euses du Massachusetts Institute of Technology (MIT), mené par Donella et Dennis Meadows ainsi que Jorgen Randers. Intitulé «The Limits to Growth» (Les imites à la croissance), le premier rapport, dit Rapport Meadows, sert de véritable déclencheur au mouvement de la décroissance. Il est publié en mars 1972, trois mois avant la première Conférence des Nations unies sur l’environnement, à Stockholm. Il constitue en effet la première étude conséquente soulignant les dangers engendrés par la société de consommation et parle alors de croissance zéro. Paru à la fin des Trente Glorieuses, son message est resté en marge, malgré sa traduction en trente langues et un tirage à douze millions d’exemplaires.
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Info
Cet article a été publié dans le Magazine Pro Natura.
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