Un ministre de l’Environnement qui ne défend guère la nature
L’ancien président de Swissoil et d’auto-suisse à la tête du Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication? L’accession d’Albert Rösti à la tête du DETEC début 2023 avait de quoi susciter de nombreuses peurs chez les défenseurs de la nature et du climat. Craignant que le lobby du pétrole et de l’automobile trouve ainsi une oreille attentive au gouvernement fédéral, les Vert·e·s suisses ont même lancé la plateforme en ligne DETEC Watch, pour documenter le travail du nouveau conseiller fédéral.
Quel bilan tirer après plus de deux ans du régime Rösti ? Fin 2024, un sondage Sotomo montrait que les électrices et électeurs suisses plaçaient le Bernois en tête de classement des sept sages en termes de popularité et d’influence: «C’est vrai qu’il est très présent et très accessible, et qu’il est doué pour le contact individuel», estime Christina Bachmann-Roth, présidente des femmes du Centre. Si elle s’est engagée pour l’Initiative biodiversité, elle estime qu’il faut encore laisser un peu de temps au conseiller fédéral avant de dresser son bilan.
Toutefois, force est de constater qu’à plus d’un titre, Albert Rösti n’a guère défendu les intérêts de l’environnement depuis son accession au Conseil fédéral, comme le laissent entendre les différents intervenants que nous avons interviewés dans le cadre de cet article, certains ne mâchant pas leurs mots pour évaluer le travail du conseiller fédéral.
Le loup dans le viseur
Fin 2023, Albert Rösti a introduit une nouvelle ordonnance sur la chasse, rendant possible la régulation proactive des meutes et des individus, avant même que ceux-ci n’aient causé de dégâts sur les troupeaux. Même si les organisations environnementales ont pu mettre un frein au processus en usant de leur droit de recours et de son effet suspensif, une cinquantaine de loups ont été abattus et au moins deux meutes entières ont été décimées entre décembre 2023 et janvier 2024.
«Le plus triste dans l’histoire, c’est que cette solution ne contribue pas à elle seule à diminuer la pression sur les élevages», se désole Isabelle Germanier, directrice romande du Groupe Loup Suisse. «Albert Rösti le saurait s’il avait lu la moindre étude sur le sujet. Mais il n’écoute pas les scientifiques, il préfère vendre du rêve aux éleveurs, il leur dit ce qu’ils ont envie d’entendre. Il passe même outre les décisions de son propre département: quand les biologistes de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) se basent sur des faits scientifiques pour refuser une autorisation de tir, il intervient personnellement pour renverser la vapeur.» En effet, en octobre 2024, le Tages-Anzeiger s’était fait l’écho d’une rencontre informelle entre Albert Rösti, le conseiller d’État valaisan Frédéric Favre et la directrice de l’OFEV Katrin Schneeberger, à la suite de laquelle l’office avait revu à la hausse le nombre de meutes que le canton du Valais pouvait abattre.
Isabelle Germanier déplore cette attitude, d’autant, rappelle- t-elle, que tout en faisant plaisir aux éleveurs en rendant possible la régulation proactive du loup, Albert Rösti «scie la branche sur laquelle ils sont assis en abandonnant le programme national pour les chiens de protection, alors qu’il était admiré par de nombreux autres pays. Or, s’il y a bien un domaine où l’on devrait être proactif, c’est celui-là.»
Isabelle Germanier reproche également au conseiller fédéral d’aller contre la volonté du peuple. «En rejetant la révision de la Loi sur la chasse en 2020, la population suisse s’est exprimée contre la régulation proactive. Et trois quatre ans plus tard, la question revient en douce sur le devant de la scène.» De son côté, Christina Bachmann-Roth rappelle que depuis le rejet de la Loi fédérale sur la chasse, les populations de loups ont augmenté: «Si le loup doit rester, il est quand même nécessaire de réguler ses effectifs. M. Rösti avait de bonnes raisons d’agir, mais la mise en œuvre doit être ensuite bien négociée au niveau des cantons.»
La biodiversité à l’épreuve du populisme
En septembre dernier, les organisations environnementales subissaient un revers avec l’échec de l’Initiative biodiversité en votation. «La campagne de désinformation menée par Albert Rösti a contribué au rejet du texte», souligne Raphaël Arlettaz, professeur de biologie à l’Université de Berne. «À l’instar des mouvances populistes que l’on voit apparaître dans le monde entier, M. Rösti fait fi de l’évidence scientifique, en particulier lorsque ce savoir va à l’encontre de ses intérêts
politiques.»
Et de citer comme exemple la déclaration du conseiller fédéral qui, de retour de l’Oberland bernois, assurait n’avoir vu aucune évolution négative dans les populations de papillons. «Lorsqu’au plus haut du pouvoir, un ministre recourt à une simple anecdote personnelle pour démontrer sa thèse, c’est l’ensemble du système de connaissances, patiemment construit, qu’il contribue à détruire.»
Le biologiste évoque la loi dite de Brandolini, selon laquelle il faut beaucoup plus de temps et d’énergie pour réfuter une contre-vérité que pour la proférer. «On aurait pu espérer que M. Rösti, en tant que ministre de l’Environnement, nous expose les faits objectifs, soit qu’il nous explique que la crise de la biodiversité est une affaire sérieuse, en Suisse comme ailleurs. Au contraire, il n’a eu de cesse de la minimiser, comme il a minimisé par le passé – et minimise encore – la crise climatique.»
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Biodiversitätsinitiative
Raphaël Arlettaz met également en avant l’insatisfaction qu’il perçoit au sein de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) depuis l’accession d’Albert Rösti au Conseil fédéral. «Quasiment tout ce qui a été patiemment construit au cours des dernières décennies pour ménager notre environnement est en train d’être démantelé, particulièrement au niveau de la protection des espèces.» Il regrette que la Suisse, longtemps considérée comme pionnière en matière de protection de l’environnement, se retrouve maintenant à la traîne sur le plan international, notamment en ce qui concerne la biodiversité.
«Bien sûr, M. Rösti n’est pas le seul responsable: la politique menée par le Parlement, pour qui les intérêts économiques priment avant tout, est également en cause. Le fait est qu’on est en pleine régression.»
Et ce n’est pas le nouveau Plan d’action biodiversité adopté par le Conseil fédéral en novembre 2024 qui devrait changer la donne. «Il ne va pas assez loin», juge Christina Bachmann-Roth. «Pendant la campagne sur l’Initiative biodiversité, M. Rösti a souvent mis en avant ce futur plan d’action pour justifier le non. Or, il faut clairement en faire davantage pour préserver notre source de vie. Mais peut-être faut-il encore lui laisser le temps d’agir.»
Autoroutes versus rail
Refusé, le projet d’élargissement des autoroutes soutenu par Albert Rösti! Pour la conseillère nationale Brenda Tuosto (PS/VD), le résultat de la votation du 24 novembre 2024 est significatif : «Il montre un réel décalage entre les besoins de la population et la solution défendue par le Conseil fédéral. Même si, dans un contexte de coupes budgétaires, l’argument financier a aussi joué un rôle – on demandait quand même au peuple de libérer 5 milliards de francs –, les pendulaires se sont rendu compte que la solution proposée par M. Rösti n’allait pas améliorer leur quotidien.» Même son de cloche chez Christina Bachmann-Roth, qui estime que le Conseil fédéral a trop peu impliqué les femmes dans sa communication lors de la campagne et dans l’élaboration du projet et proposé «une solution qui ne pouvait pas convaincre la majorité».
Brenda Tuosto, également en charge de la mobilité à la municipalité d’Yverdon-les-Bains, prône plutôt un développement des réseaux des transports publics, notamment des aménagements ferroviaires. Or, coup de tonnerre en septembre 2024, lorsque dans le cadre de son programme d’allégement des finances fédérales, le Conseil fédéral annonce le gel du financement des trains de nuit. «Ce subventionnement est pourtant inscrit dans la nouvelle loi sur le CO2, votée en juin 2023», précise l’Yverdonnoise, qui a déposé un recours contre cette décision auprès des commissions de gestion du Parlement. «Rappelons que les trains de nuit sont une alternative écologique au trafic aérien.» Depuis, la pétition lancée par les Vert-e-s et une lettre ouverte de l’association actif-trafiC ont porté leurs fruits, en partie du moins: le Conseil fédéral a levé le blocage des crédits de dix millions de francs pour la promotion des lignes de trains de nuit prévues vers Rome et Barcelone. En revanche, le soutien à ce mode de transport fait toujours partie du paquet d’économies et le financement à partir de 2027 est donc incertain.
Brenda Tuosto reconnaît qu’Albert Rösti semble être conscient de l’importance de développer le rail, surtout en Suisse romande, qui s’avère le parent pauvre du nouvel horaire CFF. «Mais à cette prise de conscience doivent s’ajouter des actions concrètes.» Pour elle, c’est là où le bât blesse, également dans le domaine de la mobilité multimodale, permettant de connecter villes et campagnes par le biais de différents moyens de transport, «les plus durables possibles, bien sûr! Malheureusement, ce développement est trop souvent abandonné au bon vouloir des communes et des cantons. Il manque de la part de la Confédération, et donc du département de M. Rösti, des incitations financières ou d’appui technique pour ce genre de projets, qui auront un réel impact sur la qualité de vie des citoyennes et citoyens, mais aussi sur la nature et sur la biodiversité.»
Le grand retour du nucléaire
«Albert Rösti est nettement moins actif pour accélérer la transition énergétique que pour gérer la question du loup», assène le conseiller national Christophe Clivaz (Verts/VS). Et de citer comme exemple l’absence de feuille de route pour la réalisation d’économies d’énergie, alors que des rapports d’administration montrent des potentiels assez conséquents, ainsi que le retard dans la mise en œuvre de la Loi climat. «On a pu observer, durant les discussions budgétaires, que contrairement à d’autres conseillers fédéraux qui se battaient pour leur département, cela n’avait pas l’air de poser de problème à M. Rösti que l’on ampute une partie des moyens prévus pour la réalisation de cette loi avant même son entrée en vigueur, notamment en ce qui concerne le remplacement des chauffages à énergie fossile.» Christophe Clivaz déplore également que le conseiller fédéral préfère investir dans la construction de centrales à gaz de réserve qui seraient très nuisibles pour le climat si elles venaient à être mises en route. Peut-on lui imputer, en partie du moins, le recul de la Suisse de 12 places au classement climatique 2025? «Certes, M. Rösti n’y va pas à marche forcée pour prendre les mesures nécessaires. Mais il n’est pas le seul, le Parlement aussi freine sur cette thématique.» Christophe Clivaz s’étonne par ailleurs de la réaction d’Albert Rösti, ainsi que du reste du Conseil fédéral et de certains conseillers aux États, face à la condamnation de la Suisse par la Cour européenne des droits de l’homme pour inaction climatique. «Il y a une sorte d’aveuglement, de déni, par rapport au simple fait que notre pays ne prend pas de mesures suffisantes pour atteindre les objectifs qu’il s’est lui-même fixés.»
Mais le plus gros changement de paradigme imposé par Albert Rösti, c’est bien sûr le retour du nucléaire. Rappelons qu’en 2017, le peuple avait voté en faveur d’une sortie progressive de l’énergie atomique. «En proposant un contre-projet à l’initiative du Club Énergie Suisse ‹Stop au black-out›, il entend bien lever l’interdiction de
construire des nouvelles centrales. Sur cette thématique-là, on sent clairement sa patte.»
Un avis que partage Christina Bachmann-Roth: «On observe chez M. Rösti un effet d’annonce. Avant de se prononcer, il ferait mieux de sonder le peuple, et même les entreprises, pour s’assurer qu’elles veulent bien investir dans le nucléaire.»
TANIA ARAMAN, rédactrice du Magazine Pro Natura
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Cet article a été publié dans le Magazine Pro Natura.
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